La Dame Blanche et autres curiosités


Les châteaux ont parfois leurs fantômes. Il est possible que Birkenwald soit concerné.

Je vous ai déjà parlé de Fanny de Grimaldi, la fille de Charles Ferdinand Dupré de Dortal de Birkenwald, qui fût empoisonnée par un médecin italien éconduit et qui décéda à Florence en février 1804. La légende veut que l’esprit de cette femme d’une grande personnalité soit revenu au Château, aux côtés de ses parents… et que sa silhouette évanescente et immaculée soit parfois aperçue aux détours du grand couloir ou d’une pièce de la maison. Il s’agit bien entendu d’une légende, plus simplement même d’une histoire de village. Personnellement, je ne l’ai jamais croisée, en dépit de nombreux réveils nocturnes lorsque les enfants étaient petits ou lorsque je partais à la chasse à l’affût au moins une heure avant le lever du jour.

Je suis cependant en mesure de rapporter quelques curiosités notables, par ordre chronologique :

1963. Georges de Latouche a une crise cardiaque à Paris, dans son appartement de la rue de la Pompe. Grâce à l’intervention de sa fille qui se précipite en pleine nuit pour chercher le médicament idoine au Drugstore Publicis (la seule pharmacie de Paris ouverte en permanence) et à l’entêtement du médecin de famille, il est finalement réanimé et transporté à l’hôpital. Après avoir discuté une partie de la nuit avec un infirmier, il meurt finalement au matin d’une ultime attaque. A l’époque, Birk (le petit nom donné à la maison) était gardé par le fidèle Joseph Klein, un homme de grande prestance qui avait su protéger la forêt de l’exploitation en règle pendant l’occupation. En 1963, la maison avait certes le téléphone mais ce dernier ne desservait que le premier étage. Lorsque l’on appelait, la sonnerie très forte retentissait dans toute la maison mais il fallait attendre en moyenne 15 coups pour que Joseph, qui montait du rez-de-chaussée, décroche enfin. Or, ce matin-là, on appela depuis Paris pour prévenir du décès du « Grand Georges » et Joseph décrocha immédiatement. La maison était en ébullition et craquait de partout ; Joseph en avait déduit que quelque chose d’important avait eu lieu et il s’était installé à côté du téléphone, attendant les nouvelles… Joseph m’a confirmé ces éléments lorsque j’avais une douzaine d’années.

1987. J’étais alors étudiant à Sciences-Po et je rejoignis ma mère à Birkenwald pour le week-end car nous devions recevoir la visite d’un groupe d’américaines. Elles arrivèrent dans un grand bus à l’heure convenue et débarquèrent bruyamment, parlant avec un fort accent des Etats du Sud. J’appréhendais d’entamer la discussion car à l’époque mon niveau d’anglais était médiocre. Parmi elles, une femme assez puissante semblait avoir des difficultés à se mouvoir et je lui proposais mon bras pour monter l’escalier hélicoïdal qui dessert les étages. Elle semblait fort sympathique et exubérante et elle accepta avec gaieté mais, à peine avions nous monté une quinzaine de marche, qu’elle fût prise d’un léger malaise, semblant bloquer à mi-chemin comme si une vitre de verre lui faisait obstacle. Je sentis son bras qui tremblait et elle me demanda fermement de rebrousser chemin et de revenir dans le bus. Une fois installée, elle me saisit à nouveau par le bras et commença à me parler avec une certaine émotion. Au début je n’entendis rien à ses propos mais, à force de répétition, je compris finalement qu’elle était médium et que son malaise provenait de la perception très nette d’un esprit féminin dominant, entouré d’autres esprits secondaires… Elle ajouta qu’il n’y avait rien à craindre mais qu’elle préférait rester tranquillement là. Je la quittai, un peu troublé. Je la revis lors du déjeuner à l’Hôtel des Vosges mais lorsque je tentais de reprendre la conversation, elle se détourna avec un sourire pincé…

1989. J’accomplissais mon service militaire en Allemagne à Offenbourg. N’osant pas me montrer à Paris avec ma « boule à zéro », je revenais le week-end à Birkenwald pour la chasse. Je dormais alors dans l’ancienne chambre de mes grands-parents qui donne sur le jardin au sud. Seuls les gardiens habitaient alors la maison, résidents permanents du rez-de-chaussée. Je suis d’une nature cartésienne et pragmatique, mais, une nuit, j’eus nettement l’impression de ne pas être seul et qu’un voile presque imperceptible m’était passé sur le visage. Bizarrement, je ne ressentis pas de crainte ; simplement j’eus le sentiment de la présence d’une « veilleuse » tranquille, un peu comme une infirmière qui assisterait en toute discrétion son malade tout au long de la nuit.

2001. Je dormais avec mon épouse dans « la chambre d’Edgar », voisine d’une petite chambre à deux lits, que l’on surnomme « la chambre des chasseurs » car elle permet de quitter rapidement et sans bruit la maison à l’aube pour la chasse à l’affût. Cette chambre était occupée par mes fils Stanislas et Max-Henri, respectivement âgés de cinq et trois ans. Au beau milieu de la nuit, j’entendis Max-Henri parler à quelqu’un. Il semblait mécontent et un bruit sourd retentit sur la porte de communication entre les deux chambres. Ma femme dormait et je me levais. J’ouvris la porte, entrait dans la chambre des enfants, butant sur un oreiller. Dans la pénombre, je demandai doucement à Max ce qu’il se passait. Il me répondit textuellement : « Je commençais à en avoir assez alors je leur ai lancé mon oreiller ». Interloqué, je lui demandais qui il voulait chasser de la sorte et il affirma : « Le machin rond qui fait de la lumière et qui bouge au plafond d’un coin à l’autre de ma chambre ». Nous nous recouchâmes et nous ne reparlâmes pas de cet épisode. Pourtant, quelques années plus tard, mon beau-frère qui dormait au même endroit me confia le matin qu’une sorte de faisceau faiblement lumineux s’était tout à coup positionné en face de lui à proximité du plafond et l’avait accompagné une grande partie de la nuit… Je repensais à Max-Henri. J’émis l’hypothèse qu’il pouvait s’agir de phares de voiture passant au loin sur la route. Il me dit y avoir pensé mais que c’était impossible car volets et rideaux étaient clos…

Voilà, c’est tout. Pas de quoi affoler les populations. Simplement, il est possible que nous soyons moins seuls que nous ne le pensons…